Article publié dans le Mémoires n°73
Madame B. militait pour défendre les droits fondamentaux dans son pays. Violemment battue, elle s’est retrouvée avec des fractures nombreuses et extrêmement invalidantes. Elle est parvenue à se faire opérer, mais dans un pays où la médecine n’est pas encore à la pointe du progrès, la prise en charge qu’elle a reçue était loin d’être adaptée. Après un long parcours d’exil, elle s’est présentée au Centre Primo Levi polytraumatisée par les violences subies.
Elle a été adressée par le médecin au kinésithérapeute car elle souffrait énormément à cause de deux prothèses mal mises en place. L’enjeu du suivi était double :
– Eduquer la patiente à prendre de nouvelles postures afin qu’elle puisse retrouver plus de mobilité et lever un certain nombre de points douloureux et de contractures. En effet, elle avait adapté sa démarche pour souffrir le moins possible car des vis mal posées venaient s’immiscer dans la contraction musculaire.
– Expliquer à la patiente que la scoliose dont elle souffrait beaucoup n’avait aucun rapport avec les tortures subies, mais qu’elle datait de l’enfance et n’avait jamais été prise en charge. Il n’y avait pas d’urgence, mais il était fondamental de bien lui expliquer que cette pathologie vertébrale pouvait plus tard amener de graves troubles et qu’il fallait envisager dans le futur une opération afin d’éviter des complications neurologiques, cardiaques, digestives et respiratoires.
La patiente parlait beaucoup de ses douleurs sur lesquelles toute sa psyché semblait se concentrer. Le kinésithérapeute a pu discuter avec elle des résultats des examens complémentaires réalisés en dehors du centre, et s’est mis à l’écoute des questions que cela avait soulevé chez la patiente, tout en expliquant ce qu’il percevait et proposait de mettre en place. Il s’agissait d’examiner les radios, d’y poser des mots, de présenter le travail de rééducation des articulations concernées, leur impact sur les douleurs dorsales, etc.
Les échanges constants entre le médecin et le kinésithérapeute, tout au long de cette prise en charge, ont permis d’ajuster le traitement et de travailler dans la même direction. Avant tout, il était nécessaire que la patiente soit entendue afin d’accepter les séquelles physiques de son vécu traumatique. Une opération n’aurait rien amélioré et aurait entraîné plus de risques que de bénéfices.
Peu à peu, Madame B. a appris des postures qui lui permettaient de moins souffrir lors de ses déplacements. Sa démarche est devenue plus aisée, plus fluide. Au bout de huit mois de rééducation, elle est passée d’un corps meurtri à un sujet ouvert sur son avenir.