Le psychotrauma : effets, risques et enjeux

Joséphine Vuillard, responsable de la communication et du plaidoyer au Centre Primo Levi, Mémoires n°73

Très présent dans le débat public au moment des vagues d’attentats en France de 2015-2017, le psychotraumatisme reste pourtant mal connu, y compris des professionnels.

Le psychotraumatisme, appelé « état de stress post-traumatique » dans les classifications internationales et « névrose traumatique » dans la psychopathologie d’orientation analytique, fait l’objet de nombreux débats tant sur le plan clinique que politique. On s’accorde généralement à le définir comme l’ensemble des troubles psychiques immédiats, post-immédiats puis chroniques pouvant se développer chez une personne après un événement traumatique ayant menacé son intégrité physique et/ou psychique. Ces troubles peuvent s’installer durant des mois, des années voire toute une vie en l’absence de prise en charge. Le Centre Primo Levi continue ainsi à recevoir des personnes originaires, par exemple, du Cambodge ou d’Amérique latine, plusieurs décennies après les événements traumatiques.

Ces troubles entraînent une grande souffrance morale liée à un certain nombre de symptômes dont les plus courants sont les suivants :

Le syndrome de reviviscence peut se traduire par le fait d’être ramené brutalement à l’événement traumatique et de le revivre. Il est souvent déclenché par une expérience sensorielle (une sensation de douleur, un son tel que le bruit d’une porte qui claque, une image telle que la vue d’un uniforme de militaire dans la rue…). Il peut aussi se traduire par des flash-back, des rêves ou des cauchemars répétitifs.

• Le syndrome d’évitement désigne le fait d’éviter tout ce qui se rapporte au traumatisme et risque de rappeler l’événement : sentiments, sensations physiques, activités, endroits, objets, moments, personnes, conversations ou situations (par exemple, évitement de la foule ou des transports). Ce syndrome peut aller jusqu’à l’évitement de toute pensée et au développement d’un monde imaginaire. L’évitement de toute situation douloureuse ou stressante peut entraîner l’émoussement des affects, le désinvestissement des relations interpersonnelles et la perte de l’anticipation positive de l’avenir.

• Le syndrome dit « d’hyperactivité neuro-végétative » désigne un état d’hypervigilance, d’alerte et de contrôle. Il peut se traduire par des sursauts, des insomnies, des réveils nocturnes, une hypersensibilité, une irritabilité, des colères explosives, des troubles de la concentration et de l’attention.

• Les symptômes dissociatifs, enfin, peuvent eux aussi prendre différentes formes : perte de conscience de l’environnement réel, amnésie dissociative, déréalisation, dépersonnalisation (sentiment d’être devenu un observateur de son propre fonctionnement mental ou de son propre corps).

Les syndromes psychotraumatiques ont un impact sur la vie quotidienne des exilés, comme l’explique le Comité pour la Santé des exilés : « Le syndrome de répétition empêche l’inscription dans le présent, ainsi que la possibilité d’envisager l’avenir. Les nuits agitées ou trop courtes épuisent. La mémoire et la concentration sont défaillantes, les rendez-vous oubliés. C’est parfois tout le rapport au temps et à l’espace qui subit une altération, la découverte d’un nouvel environnement demandant à l’inverse de pouvoir se repérer et de mobiliser des ressources psychiques. Les personnes souffrent de ne pas « se reconnaître », de ne pas être en mesure de faire face aux exigences de témoignage et aux démarches qui leur sont demandées dans leur parcours d’exil. Cela accroît leur souffrance subjective et leur sentiment d’échec. »[1]

Ces syndromes sont souvent associés à des troubles de la concentration, de l’attention et/ou de la mémoire, lesquels sont d’autant plus invalidants qu’ils peuvent avoir un impact sur l’apprentissage d’une nouvelle langue, sur les démarches administratives à effectuer ou encore sur la capacité des demandeurs d’asile à mettre en récit leur parcours d’exil devant l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d’asile[2].

Une patiente du Centre Primo Levi, par exemple, était atteinte de graves troubles de la mémoire. La première fois qu’elle a parlé de ses enfants en consultation, elle a prononcé le prénom du premier, puis du deuxième. Mais au troisième, elle s’est arrêtée, incapable de s’en souvenir. Comme ça ne lui revenait pas, le psychologue l’a rassurée et lui a demandé le prénom du suivant. Même blanc. Celui du cinquième, en revanche, lui est venu tout de suite. Elle a fondu en larmes. Quelques semaines et quelques consultations plus tard, le psychologue s’est aperçu que les deux enfants dont cette patiente avait oublié les prénoms étaient précisément ceux qui avaient été témoins des violences qu’elle avait subies, cinq ans auparavant. D’après le psychologue, « ça n’était pas ce que l’on appelle un « trou de mémoire » mais au contraire une trace de son inconscient. En effaçant leurs prénoms, son inconscient cherchait à protéger ses enfants de l’obscène et ainsi à restaurer l’ordre normal des choses ». Cet effet s’est manifesté en consultation, dans un climat de confiance. Mais dans une situation de stress comme à l’Ofpra ou à la CNDA, devant des personnes qui semblent n’avoir en tête que de chercher la faille, ce genre d’effets est décuplé et entraîne un fort risque d’être débouté et expulsé.

Chez les personnes ayant vécu des situations traumatiques répétées, précoces ou des violences extrêmes, comme c’est le cas des patients du Centre Primo Levi, les syndromes psychotraumatiques prennent souvent une forme « complexe » : ils entraînent alors une modification profonde de la personnalité, une dérégulation des affects, des somatisations, et peuvent être rapprochés des états limites. Ils peuvent conduire jusqu’à des états délirants ou des épisodes de confusion mentale laissant parfois penser à un état psychotique, alors même qu’il n’y pas de décompensation d’un trouble psychotique constitué. Ceux-ci peuvent disparaître spontanément ou avec un traitement adapté. Dans certains cas, ils se chronicisent ou modifient profondément la personnalité.

Le risque de confusion entre syndromes psychotraumatiques et état psychotique pose un véritable problème de diagnostic et de prise en charge : les personnes présentant ce type de troubles sont généralement orientées vers des psychiatres qui, faute de temps et n’étant bien souvent pas formés aux effets du psychotrauma, auront pour réflexe de prescrire des antipsychotiques… alors que dans de nombreux cas, ces traitements risquent d’entraîner davantage de dommages que de soulagement.[3] L’histoire de Madame K. l’illustre parfaitement.

Cette patiente d’origine congolaise a été obligée de fuir son pays avec son enfant de trois ans, suite aux harcèlements constants puis aux agressions d’hommes en uniforme qui cherchaient son compagnon. À son arrivée en France, Madame K. décide de cacher sa souffrance et sa fragilité, de peur de devenir une proie : elle ne raconterait à personne les séquelles des agressions. Déboutée par l’Ofpra, elle dépose tant bien que mal un recours auprès de la CNDA. Alors que son avocate cherche à la préparer à l’audience en la questionnant en détails sur son histoire, Madame K. vit cette « mise en situation » comme une replongée dans l’horreur des scènes traumatiques.

Une semaine plus tard, l’audience arrive. Madame K se prête à ce qu’elle appelle « l’interrogatoire », en répondant même aux questions les plus inattendues : la couleur des murs de la pièce où les sévices ont eu lieu, le nombre de personnes présentes… De cette longue séance hyperréaliste, elle sort épuisée.

La nuit suivante, les cauchemars reviennent l’assaillir. Persuadée d’être en danger, elle cherche à quitter le foyer en plein milieu de la nuit, pieds nus, son enfant dans les bras. Pour calmer la situation, le personnel du foyer appelle les pompiers. Le médecin de garde décide d’hospitaliser Madame K. en psychiatrie. L’enfant est confié à l’Aide sociale à l’enfance et placé en famille d’accueil.

Madame K. n’était pas psychotique, même si le fait d’être ramenée brutalement à la scène traumatique a ponctuellement entraîné des symptômes qui le laissaient penser. Cette erreur de diagnostic a eu de graves conséquences pour elle et sa fille : elle a reçu un traitement médicamenteux lourd inadapté et sans suivi rapproché. Elle n’a pu revoir sa fille que six mois plus tard.

La présentation de ce cas clinique permet de comprendre que si le PTSD tel qu’il est décrit dans le DSM[4] peut servir de grille de lecture pour faciliter les échanges entre professionnels, il est indispensable de prendre de la distance et de singulariser les soins. C’est un enjeu d’autant plus important que le traumatisme a un effet « radioactif » : en l’absence de prise en charge adaptée et de cadre protecteur, les effets risquent ainsi de rejaillir sur les proches et les aidants et même de se transmettre aux générations suivantes[5].

Depuis sa création, le Centre Primo Levi s’emploie à faire connaître ces effets et à faire valoir la nécessité d’une véritable politique de santé publique dans ce domaine. En juin 2018, le Ministère des Solidarités et de la Santé a lancé un appel à projet national pour l’identification d’une dizaine de « dispositifs de prise en charge globale du psychotraumatisme ». C’est une première étape importante dans la reconnaissance de cet enjeu, même si elle s’annonce plus symbolique qu’effective.


[1] Guide pratique pour les professionnels, Comede, 2015

[2] Centre Primo Levi, Persécutés au pays, déboutés en France, 2016

[3] Voir Mémoires n°67 Traumatisme… à la folie, 2016

[4] Le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders est l’un des deux principaux modèles de classification internationale des troubles mentaux

[5] Centre Primo Levi, Enfants victimes de la violence et de la guerre : quel accueil en France ?, 2014


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